Pendant 12 heures, deux agents du Groupement information et relations extérieures ont suivi la garde du centre d’incendie et de secours d’Aubagne. Récit et témoignages après une journée passée entre interventions et moments de vie.
Jeudi 18 janvier, début d’après-midi à Carnoux-en-Provence. À l’avant du véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) #136, le sergent-chef Loïc Lopez indique le meilleur itinéraire au caporal Florian Lefebvre. Direction l’hôpital privé La Casamance à Aubagne pour y conduire Mathilde*, 88 ans, victime de vertiges et dont la tension est anormalement basse. Derrière, le sapeur Haykel Ben Romdhane tente d’en savoir plus auprès de sa passagère du moment.
- « Qu’est-ce qui vous arrive, Mathilde ? Vous n’arrivez plus à manger ?
- Non, ça ne passe plus
- Et vous buvez suffisamment ?
- Ah, ça… Jamais sans mon Ricard ! »
Une réponse autant espiègle que sincère, dont le sapeur Ben Romdhane se souviendra longtemps. « Mathilde, vous avez fait ma journée ! »
Cette scène de vie, elle fait partie du quotidien des sapeurs-pompiers du centre d’incendie et de secours d’Aubagne. Ce jeudi 18 janvier, ils étaient 16 personnels sur le pont afin d’assurer de manière continue la garde de 7h30 à 19h30. Seize sapeurs-pompiers professionnels et volontaires à parcourir une partie du département des Bouches-du-Rhône pour venir en aide à celles et ceux qui font appel à eux. Accidents de la route, secours à domicile, accompagnement et attente aux urgences… Tout y passe mais sans jamais faillir.
« Il y a un côté social »
L’envie d’aider les autres, le sapeur Ben Romdhane la cultive depuis très longtemps, même s’il s’est engagé tardivement dans l’univers des pompiers, à l’âge de 41 ans. « Ma fille est entrée en tant que jeune sapeur-pompier à Aubagne, il y a deux ans. Donc j’ai suivi ! », raconte celui qui est formateur en prévention et sécurité au travail dans son autre vie. « Mon métier et mon engagement se complètent, finalement. Il y a un sens dans tout ça ! »
« Je pense que c’est inné : on aime les gens ou on ne les aime pas. Moi, j’aime bien partager, discuter, venir en aide… », poursuit-il, le sourire aux lèvres, alors que le VSAV #136 est déjà engagé sur une autre intervention sans avoir eu le temps de rentrer au bercail. « C’est dans l’éducation. Mon père m’a toujours appris à proposer de l’aide à quelqu’un qui, par exemple, a du mal à porter son sac au moment de traverser la rue. C’est comme ça. »
Pour le sapeur Ben Romdhane, l’action d’un sapeur-pompier ne se résume pas au simple fait de porter secours. « Il y a un côté social, aussi. On voit des choses dont on ne se rend pas forcément compte au quotidien. J’ai vu des personnes qui souffrent moralement, qui se sentent à l’extérieur de la société, des enfants qui font des tentatives de suicide… Discuter, parler avec les gens, les comprendre un petit peu et essayer de les aider sur cet aspect-là, c’est ça que j’aime le plus. »
« Ce n’est jamais la même chose »
Cette « diversité des interventions », c’est également ce qui attire le caporal Lefebvre. « Tous les jours, ce n’est pas la même chose », confie ce sapeur-pompier professionnel de 32 ans, passé par la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. « J’ai eu le déclic lors de mon stage de 3e, où j’étais en caserne », ajoute-t-il. « Si j’ai un conseil à donner aux jeunes qui veulent se lancer, c’est de foncer. C’est un peu difficile au début, on doit s’intégrer mais il faut persévérer. Ce métier m’épanouit de jour en jour. »
En faire un métier, le sergent-chef Lopez y a forcément pensé un jour. « Mais je fais déjà un boulot qui me plaît, donc j’ai préféré garder mon engagement en tant que sapeur-pompier volontaire en plaisir », détaille ce père de famille de 38 ans, qui travaille en parallèle dans l’industrie pétrolière à Fos-sur-Mer. « C’est beaucoup de sacrifices mais c’est une question de passion avant tout. Et j’ai la chance d’avoir une famille conciliante », poursuit ce volontaire immergé très tôt dans l’univers des pompiers.
« Le déclic, je l’ai eu grâce à ma mère, qui était sapeur-pompier volontaire à Sausset-les-Pins il y a plus de 20 ans ! » Une histoire de famille mais aussi « d’équilibre de vie », comme le reconnaît le sergent-chef Lopez. « Un conseil pour les plus jeunes ? Si ça plaît, il ne faut pas hésiter à y aller mais toujours en gardant l’équilibre familial et personnel. À mes yeux, c’est ce qui reste le plus important. »
Femme ou homme, « le travail reste le même » en tant que chef de centre
L’équilibre, c’est également ce que recherche en permanence le commandant Célia Sappin, elle qui est devenue le 1er mars 2023 la première femme à être nommée à la tête du centre d’incendie et de secours d’Aubagne. Pas de quoi bouleverser son approche dans la gestion de la caserne. « Être une femme chef de centre ? Pour moi, il ne doit pas y avoir trop différence. Peut-être une approche un peu différente en termes de management, un peu plus de douceur, d’écoute, de compréhension… Mais après, le travail reste le même », affirme celle qui a pris la succession du lieutenant-colonel Olivier Damon, décédé subitement en janvier 2023. « Nous pensons à lui tous les jours. Nous avons planté un olivier en son souvenir, avec une plaque. Étant un enfant d’Aubagne, beaucoup de gens l’ont connu jeune, puis en tant que chef et ne l’oublieront pas. »
Au-delà du souvenir laissé par le lieutenant-colonel Damon, le centre d’incendie et de secours d’Aubagne démontre sa perpétuelle envie d’aller de l’avant. S’il y a toujours un temps pour partager des moments de vie entre sapeurs-pompiers, l’instruction à la garde n’est pas négligée, bien au contraire. Ce jeudi 18 janvier en est le parfait exemple, avec une fin d’après-midi propice à une séquence sur l’engagement sous ARI (appareil respiratoire isolant à circuit ouvert). Mais pas le temps de mollir : à peine le rappel des bases effectué, il faut déjà repartir en intervention pour certains.
Les autres suivent 30 minutes plus tard, mais avec l’envie de bien faire. Toujours, peu importe la fatigue de la journée. « Quand on est passionné… », sourit le sergent-chef Lopez. « J’ai quand même appelé ma femme pour la prévenir : ‘Ne m’attendez pas pour manger’. C’est ce que je disais tout à l’heure : j’ai la chance d’avoir cet équilibre, avec une famille très conciliante. »
* Le prénom a été changé.
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